Mardi 30 août
Cahin, caha je vais chercher mon pain quotidien (non ! depuis la crise de l’énergie je n’y vais plus que tous les 2 jours…) dans ma petite voiture de campagne, à l’écoute de France Culture :
- Le leader écolo s’exprime : « On en assez de toute cette technocratie, cette rationalité froide qui préside à toutes les orientations dessinées par le Président de la République. Ce que nous voulons, c’est que s’exprime la sensibilité en politique, que l’on partage avec chaque Français les préoccupations du moment. La planète brûle et tout le monde peut s’en rendre compte à chaque instant. Oui, ce qu’il nous faut, c’est un mode de gouvernement par les émotions ! ».
Sur le trajet du retour, 5 minutes plus tard et pour une raison que j’ai oubliée, je me retrouve à l’écoute d’une radio « périphérique », comme on disait autrefois… Cette fois-ci, c’est un leader de gauche et un de droite qui débattent. Et là, je n’en crois pas mes oreilles :
- « La politique et les gouvernants prennent de plus en plus souvent, et à tort, des décisions sous le coup de l’émotion. Regardez le nucléaire : François Hollande a été poussé à fermer des centrales, mais surtout Angela Merckel à l’abandon complet de la filière !
- Et que dire de l’immigration !, répond l’autre. Ce qu’il nous faut, c’est remettre du rationnel dans le débat afin que les Français comprennent et acceptent ».
Ainsi, les écolos sont des grands sentimentaux faisant preuve d’une compassion particulière, par exemple pour comprendre les craintes des bonnets rouges ou partager le désespoir affiché par les gilets jaunes… De leur côté, les partis traditionnels ont toujours décidé de leurs orientations politiques en fonction de visions bien éclairées par la raison (les 35 heures, les privatisations, la politique africaine, etc…).
Dimanche 4 septembre
Le peuple chilien rejette massivement par son vote le projet de nouvelle Constitution pour le pays. Pourtant, celui-ci était le fruit d’un processus vertueux : d’abord une consultation nationale pour décider de tourner la page à une conception de la gouvernance datant de Pinochet, puis l’élection d’une assemblée constituante qui travailla toute une année pour aboutir à un texte dont elle avait pris soin d’adopter chaque alinéa à la majorité des deux tiers.
Mais alors, que s’est-il passé ? Pourquoi cela n’a-t-il pas fonctionné ?
Les commentateurs invoquent l’inévitable politisation du sujet… Mais en quoi est-ce une excuse, le sujet étant politique par nature ? Techniquement, c’est vrai, puisque la droite traditionnelle que l’on estime présente encore à un peu moins de la moitié des suffrages dans le pays, n’avait qu’un tout petit peu moins qu’un tiers des membres de l’assemblée constituante… Sans doute l’enthousiasme du renouveau porté par la gauche (le parti du nouveau président), et finalement, une place trop importante laissée aux minorités (les « indépendants »). Bref, la majorité de la Constituante a surtout travaillé à faire plaisir à ces derniers, ouvrant la porte à des dispositions qui n’ont pas leur place dans un texte devant décrire des règles de fonctionnement d’une gouvernance, plutôt que d’apporter des garanties à des catégories ou des situations particulières.
Ce n’est pas le seul pays où il est temps de se réinterroger sur ce que doit être une constitution et rappeler la nécessaire hiérarchie des textes.
Mais c’est aussi un échec de « démocratie directe », au moins vers les populations autochtones dont la surreprésentation a créée la surenchère. On peut aussi s’interroger sur le choix d’une assemblée plus ou moins représentative pour rédiger – from scratch – de tels textes, sans arbitre sur la pertinence, et parce que la qualité de chaque alinéa adopté par vote ne fait pas la valeur du texte final.
Lundi 12 septembre
La reine Elizabeth II n’est plus depuis jeudi soir et les éditoriaux de certains quotidiens reviennent sur sa personnalité et ce que le monde (au moins occidental) lui doit. On retiendra parmi les mots la qualifiant comme grâce, humour, modestie, l’expression « sens du devoir » qui revient le plus fréquemment et en tête pour les commentateurs politiques. Les mêmes qui, pour caractériser son règne, utilisent des mots comme stabilité ouroc.
Ainsi, cette grande dame est jugée plus sur son comportement, son attitude, l’impression qu’elle donne plutôt que sur ses actes. Cela peut paraître curieux quand on observe que dans le débat politique français, le président Macron est volontiers stigmatisé sur sa façon d’être, ses « petites remarques », et peine à faire entendre le bilan de ses actes, pourtant réels.
Ainsi, la forme l’emporterait sur le fond et pour être aimé il suffirait en quelque sorte de faire montre de bonne éducation, respectueuse de tous et toutes, compassionnelle mais avec retenue…
Cependant, la comparaison s’arrête là car une reine n’a pas de rival pour occuper son poste et n’a pas le pouvoir d’influencer directement le bonheur matériel de son peuple. C’est cette gratuité du lien qui fait toute la différence. Jusqu’au jour où les gens trouveront que cela coûte trop cher…
En attendant, apprécions les vertus d’une éducation qui a su inculquer à ce point le fameux sens du devoir, jusqu’à contenir, parfois un peu trop, les émotions, et d’une institution qui associe à la royauté une image de sagesse rassurante au dessus de l’arène politique, de ses émotions ou de ses raisons.
Et maintenant ?
Il me semble que les institutions de gouvernance d’un pays ne peuvent se passer de sagesse « au dessus des partis », et qu’à l’heure où notre Président lance une nouvelle « convention citoyenne », on ne peut que craindre un travail aussi peu ouvert et peu efficace que celui de la précédente, ou aussi pollué par les postures politiques que la Constituante chilienne.
Xavier Marchal,
Membre de Synopia