Journal des Futurs #86 – L’Assemblée nationale est-elle vraiment gagnée par l’ensauvagement ?

Retrouvez cet article de Jacky ISABELLO, membre du Conseil d’administration de Synopia,
publié dans la Revue Politique et Parlementaire le 6 décembre 2022.

Peut-on dire que la vie politique s’endurcit comme l’affirme de nombreux médias ? Dernièrement Le Figaro a relaté avec force détails les démêlées entre le député Sylvain Maillard et plusieurs de ses « collègues » parlementaires. Le quotidien revient également sur l’incendie provoqué par les propos du député de Fournas. Il cite des parlementaires qui, sur le ton de la plaisanterie, conseillent aux huissiers, ces fonctionnaires attachés au Parlement chargés de la continuité de la Démocratie parlementaire, de s’initier au Krav-Maga – art martial inventé par le Mossad israélien – puisqu’ils doivent désormais s’interposer entre les candidats, en nombre, au coup de poing.

L’Assemblée nationale, hémicycle infesté d’outrances, métamorphosé en « no go zone » de l’espace public ; quartier Nord du parlementarisme, symbole d’un nouvel ensauvagement de nos édiles. S’il existait une échelle de Richter de la violence parlementaire comme il a été théorisé un point de Godwin des échanges d’une discussion1 où placerions-nous le curseur du soi-disant niveau de violence dans l’espace politique ? L’histoire aurait-t-elle enfanté des moments aussi tendus si l’on se réfère aux craintes que rapportent les gazettes.

La génération 2022, dans un excès de vanité, n’est-elle pas tenté de se pousser du col. Un peu trop.

Ayant perdu la capacité de susciter l’admiration que provoquaient leurs harangues, dont les effets sur le fonctionnement psycho-sociaux ont été disséqués par Gustave Le Bon, Sigmund Freud ou encore Elias Canetti, quelles que furent les oppositions profondes entre ces trois monuments – mais toujours non violentes –, les politiques n’ont-ils pour seuls moyens de se démarquer que d’abandonner les mots, dont les médias et les réseaux sociaux ne veulent plus, pour revenir à la seule brutalité des mains fermées ?

C’était mieux avant…. mieux troussé !

Le premier homme à jeter une insulte plutôt qu’une pierre est le fondateur de la civilisation. Cette assertion de Freud parcours ce magnifique ouvrage dirigé par Bruno Fuligni : Petit ouvrage des injures en politique. Il rappelle dans son introduction que l’injure politique, par nature protéiforme, c’est d’abord un étourdissant bestiaire. On a énormément procédé par « animalisation » et avec doctes références. L’ échange entre Maurras et Blum est un modèle du genre. Maurras attaque « Abject animal » lequel Blum Riposte « brute véreuse ». A ce jeu pervers, c’est le patron de l’Action française qui eut le dernier mot en transformant le temps d’une phrase, fort heureusement dénuée de toute performativité, le leader socialiste en un mystérieux « Hircocerf de la dialectique heimatlos ».

Si de doctes propos étaient échangés dans les cours d’école, chaque professeur rendrait l’exercice de la « dialectique confrontationelle » obligatoire lors des récréations.

Dans l’histoire des outrages, il a été fait bon usage de signaler des particularités ou anomalies sexuelles : « Mademoiselle Jean Jaurès était une fille très mûre quand elle changea de parti ». Les excès scatologiques de nos représentants furent légion, passons les exemples. Jusqu’au discours du Président Macron en juillet 2018 à Versailles devant le Parlement réuni en Congrès au cours duquel il conjura nos concitoyens à de meilleurs sentiments vis-à-vis de l’Europe : « Négliger l’Europe, s’habituer à la conchier, à en faire le coupable de tous nos maux ». Fuligny aura tout le loisir dans un prochain ouvrage mis à jour de narrer par le détail les outrances langagières du locataire de l’Elysée : « qui souhaite emmerder les non-vaccinés ; les fainéants et autres Bordel » dont l’histoire sera forcée de reprendre les références.

Selon que vous soyez… : que vaut l’injure ?

Selon que vous soyez non pas puissant ou misérable mais parlementaire ou communicant la substance varie. Au Parlement, nous le savons désormais suite à l’affaire de Fournas, l’application de l’alinéa 4 de l’article 71 du règlement de l’Assemblée nationale prévoit le rappel à l’ordre et parfois l’inscription au procès-verbal. Faisant ainsi office de sanction et entraînant la privation, pendant un mois, du quart de l’indemnité parlementaire.

Quant aux juristes, ils distinguent entre injure simple et injure publique. Cette dernière étant plus lourdement punie (privée : 38€ par contravention ; publique : 12 000€ voire 22 500€ avec une peine de prison si elle est raciste ou discriminatoire.

Pour les communicants l’injure à cette qualité double de ne pas uniquement dévaloriser le destinataire mais aussi de valoriser son émetteur. Merci Monsieur Schopenhauer.

Pour les philosophes ou les psychologues, en politique les mots sont des armes. L’injure s’apparente donc au cri de guerre selon Freud.

Le pire dans notre affaire du jour réside dans la morale de l’histoire, la fin d’une règle immuable. 7 fois tourner sa langue dans sa bouche pour ne pas risquer le dérapage et le dommage réputationnel est au service particulier ce que l’éclaireur de lanterne fût à la modernité, désormais inutile. Pour faire société des réseaux plus l’outrage est puissant, meilleure est l’attention qu’il génère dans l’espace public numérisé. Et s’il brulait trop longtemps, il serait temps, ensuite, carrière faisant, d’envisager de se dédiaboliser.

Jacky Isabello
Membre du Conseil d’administration de Synopia
Membre du comité éditorial de la RPP

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