La crise sanitaire et sa mondialisation sans frontières percutent nos croyances, nos habitudes, nos fonctionnements. Comment en sortirons-nous ? Retrouverons-nous les rails du néolibéralisme et ses déraillements ou, toute crise étant aussi une opportunité, en profiterons-nous pour construire un modèle susceptible de répondre aux enjeux sociaux et environnementaux, dans le respect de la liberté ?
Tout est possible et tout dépend in fine de nos volontés individuelles et collectives. Pour essayer d’y voir clair, distinguons les quatre phases de cette crise.
La première est l’apparition de la pandémie et la mise en œuvre du confinement. L’objectif, face à une situation donnée et parfois mal anticipée, est de freiner l’épidémie en retournant sa progression pour qu’elle devienne « soutenable ». Les conséquences sociales, économiques et financières sont lourdes : fermetures, modification de l’organisation de l’activité, isolement, pertes de pouvoir d’achat, malnutrition, canadair budgétaire.
La deuxième est le déconfinement progressif (ou allégement du confinement), avec reprise partielle de l’activité économique et de la vie sociale. Les entreprises s’interrogent sur leur organisation, la reprise de l’activité ou des carnets de commande, et perçoivent encore des aides. Certaines, notamment dans les TPE et professions libérales, ne repartiront pas. Le chômage et la pauvreté grimpent, ainsi que les problèmes d’accès aux biens essentiels comme la nourriture.
La troisième phase, si l’épidémie ne rebondit pas, débutera avec l’arrêt de certaines aides publiques, notamment le dispositif exceptionnel de chômage partiel. Ce sera une heure de vérité : plans sociaux, réorganisation pour recherche de productivité, y compris avec le télétravail et le développement de l’automatisation et de l’intelligence artificielle, impact global sur l’activité économique, interrogation et débat sur les responsabilités et les rôles respectifs de l’État, des collectivités territoriales et des interlocuteurs sociaux, mesure et discussion sur l’impact budgétaire de la crise.
Ce dernier point est important à double titre : comment expliquer qu’hier nous ne voulions pas financer correctement les services publics ou accroitre le pouvoir d’achat, alors qu’aujourd’hui nous faisons sauter tous les (faux) plafonds ? Les pays européens, et notamment ceux de la zone euro, parviendront-ils à mettre en place une démarche mutualisée de relance et d’investissement, et engageront-ils une réforme indispensable des traités ? La récente déclaration commune Macron-Merkel constitue, certes, une avancée dans la mesure où l’Union européenne emprunterait et reverserait aux États membres proportionnellement à leurs besoins liés aux conséquences du COVID. Mais tout est encore flou. Cet emprunt devra-t-il être remboursé via les budgets nationaux comme le laisse entendre Merkel ? Sera-t-il conditionné à « un engagement clair par les États membres d’appliquer des politiques économiques saines et un programme de réformes ambitieux », ce qui laisse supposer des mesures d’austérité et un retour aux dogmes budgétaires ? Par ailleurs, son montant (500 milliards d’euros) parait faible au regard des besoins évalués entre 1 600 et 2 000 milliards d’euros. Enfin, les pays dits, selon la formule de Jean Quatremer, du « club des radins », ainsi que les pays d’Europe centrale et orientale n’ont pas encore dit leur dernier mot.
Cette phase sera aussi une phase de tensions sociales et sociétales. Face aux problèmes d’emploi, saura-t-on trouver des outils nouveaux pour éviter les licenciements ? C’est une des questions posées. Il va falloir innover dans les mécanismes, allier progrès technique, organisation du travail et gestion de la masse salariale, raisonner et agir sur les chaines de valeur depuis les donneurs d’ordre jusqu’aux ultimes sous-traitants. Il va également falloir passer des plans sociaux à une co-construction de plans de transformation sociale favorisant l’emploi, la formation, les qualifications et l’insertion des jeunes, et de la restructuration quantitative et brutale à la reconversion négociée. Enfin, il faudra faire de la RSE une réalité et non une simple cosmétique.
La crise se situant tant du côté de l’offre que de la demande, la question de l’équité sera essentielle aussi bien au plan fiscal qu’au plan du pouvoir d’achat, et en premier lieu pour celles et ceux qui ne mangent plus à leur faim.
Toute crise étant une période transitoire plus ou moins longue entre un modèle qui ne fonctionne plus et un modèle à construire, il ne faut pas hésiter à bousculer les dogmes, dont celui de la dette publique.
La quatrième phase, qui n’est pas a priori inéluctable mais nécessaire, vise à reconstruire le monde d’après, le monde d’avant étant déjà fragilisé, et la crise sanitaire ayant, depuis, mis en lumière ses contradictions et inefficiences.
Lorsqu’avec une équipe d’Homa capital nous examinons les signaux faibles de la situation actuelle, nous envisageons trois scenarii possibles : démondialisation brutale, démondialisation douce, nouveau multilatéralisme. Le pire n’étant jamais certain, il nous appartient de rendre possible ce qui, il y a peu, était présenté comme impossible.
La démondialisation brutale est un mouvement de repli sur les États nations qui peut être attisé par les tensions sino-américaines, l’enlisement de l’Europe pouvant conduire à une déconstruction, la montée des populismes, une crise financière profonde touchant déjà nombre de pays émergents.
La démondialisation douce est un entre-deux où les relations internationales piétinent, où s’opèrent des relocalisations, où l’on gère au jour le jour et où l’État nation devient de plus en plus la référence.
Les signaux faibles au plan économique, géopolitique et financier semblent indiquer que nous nous acheminons vers ce scénario, au moins dans un premier temps. Un nouveau multilatéralisme pourrait aussi en découler, comme ce fut le cas dans l’Histoire quand le monde avait atteint le fond de la piscine et qu’on ne pouvait plus continuer comme avant.
La raison plaide pour l’émergence de ce nouveau multilatéralisme monétaire, financier, économique, budgétaire et social, comme ce fut le cas après la deuxième guerre mondiale avec la déclaration de Philadelphie concernant l’Organisation internationale du travail (OIT), et les accords de Bretton Woods.
Jean-Claude Mailly,
Administrateur de Synopia