Retrouvez cet article de Geneviève Goëtzinger, membre du Conseil d’administration de Synopia,
publié dans la Revue Politique et Parlementaire le 10 juillet 2023.
Vingt mots ! Vingt mots sont venus confirmer de manière spectaculaire l’attachement du pays de la Teranga à deux valeurs fortes : le respect de la parole donnée, la fierté d’appartenir au club encore fermé des démocraties africaines. A sept mois d’une élection présidentielle décisive, ces vingt mots ont soulagé tout un peuple. Le Sénégal reste fidèle à son identité. Il administre une leçon, sinon à son continent, du moins à la région ouest-africaine. Il n’est pas pour autant préservé d’une possible crise électorale.
« Ma décision, longuement et mûrement réfléchie, est de ne pas être candidat à la prochaine élection du 25 février 2024 » : d’apparence banale, cette phrase du président Macky Sall a été applaudie dans son propre pays et par de nombreux dirigeants et institutions partout dans le monde. A priori, ces félicitations peuvent apparaitre paradoxales ; à l’issue d’un long suspense de quatre années, le chef de l’Etat se résout enfin à appliquer à la lettre la Constitution sénégalaise, qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels consécutifs.
Ces félicitations illustrent en réalité la persistance d’un mal très ancré sur le continent, cette propension à réviser sa loi fondamentale pour contourner cette règle et se maintenir au pouvoir.
On appelle pudiquement cela « remettre les compteurs à zéro ».
En faisant en toute conscience le choix de résister à cette tentation, Macky Sall rappelle que le Sénégal est une vitrine et un exemple. Confronté à un climat de violences, il prend aussi la mesure du risque personnel qu’aurait présenté une posture différente dans un pays légitimement fier de sa singularité. Si Macky Sall « a délivré le pays », comme le dit joliment l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall, qui évoque « un fort moment libérateur », il n’a pour autant pas réglé la totalité des problèmes posés par son passage de flambeau.
Macky Sall sera le premier président à organiser des élections sans y participer. Son long atermoiement pose néanmoins en premier lieu un problème de succession au sein de sa propre mouvance politique. On ne connait pas au président d’héritier incontesté. Le Premier Ministre Amadou Ba pourrait tenir la corde. Il a gagné en densité ces dernières années et s’impose comme un homme de consensus, apte au rassemblement. Mais d’autres ambitions sont également légitimes, celle du ministre de l’Agriculture, Aly Ngouille Ndiaye, celle du président du CESE, Abdoulaye Daouda Diallo, ou bien encore celle de la ministre des Affaires étrangères Aïssata Tall Sall. Il reste sept petits mois à sa famille politique, l’Alliance Pour la République, et à la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY) pour se désigner un dauphin.
Dans l’opposition, deux personnalités, exclues du jeu politique à la suite de décisions de justice controversées en 2019, pourraient revenir en force à la faveur des résultats du dialogue politique. Khalifa Sall, ancien maire de Dakar, inéligible à la suite d’une condamnation pour « détournement de fonds publics », peut ambitionner fédérer une gauche gestionnaire et raisonnable. Le président du mouvement Taxawu bénéficie d’une image d’expérience, de sérieux et de son appétence pour le dialogue. Tout comme lui, le libéral Karim Wade a fait de la prison. Le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade a été condamné pour « enrichissement illicite ». Il devrait également retrouver ses droits civiques et concourir sous les couleurs du Parti Démocratique Sénégalais.
La tentation de la radicalité
Khalifa Sall et Karim Wade de retour, reste la question de la candidature d’Ousmane Sonko. Comme Sall et Wade, Sonko s’estime victime d’une instrumentalisation de la justice. Il a été condamné au printemps à deux ans de prison pour « corruption de la jeunesse ». Mais contrairement à un Khalifa Sall, dont le mouvement participait à tous les dialogues politiques, alors même que son leader était en prison, Ousmane Sonko a choisi une posture de radicalité, préférant boycotter le dialogue national.
Lors d’un procès tenu à la suite d’accusations de « viol et de menaces de mort » à l’encontre d’une jeune masseuse, la jeunesse sénégalaise était massivement descendue dans la rue pour soutenir le président du PASTEF.
Le Sénégal a connu une période de violences, et 24 jeunes auraient perdu la vie, selon les chiffres d’Amnesty International. Le pouvoir comptabilise 16 victimes. Blanchi sur les deux chefs d’accusation initiaux, il a finalement été condamné pour des faits qui ne faisaient pas l’objet de poursuites et vit aujourd’hui reclus chez lui, dans l’attente d’une probable incarcération.
Devant l’embrasement du pays, Macky Sall s’est appuyé sur le dialogue national comme outil de décrispation.
Parmi les multiples propositions conclusives, figure l’exigence d’une élection libre, inclusive et transparente.
Cette revendication d’inclusion concernera-t-elle le leader du PASTEF ? Menacé d’inéligibilité, Ousmane Sonko pourrait-il être finalement en mesure de concourir ? Quelles seraient les conséquences de son éviction, si celle-ci se confirmait ? Ce sujet constituera l’un des derniers défis de la présidence d’un Macky Sall parfois épinglé sur des questions d’état de droit et d’incarcération abusives d’opposants. Alioune Tine, expert indépendant de l’ONU, aujourd’hui à la tête de l’Afrikajom Center, évoque dans son dernier rapport, publié avant la décision de Macky Sall de ne pas représenter « un modèle démocratique africain en déclin ». Quant à Ousmane Sonko, il a déjà annoncé la couleur, prédisant « le chaos » s’il était dans l’impossibilité d’être candidat.
Face au risque d’un nouvel embrasement et à la tentation de son opposant d’instaurer un nouveau rapport de forces dans la rue, la voie apparait étroite pour Macky Sall.
Lorsqu’il évoque les violences auxquelles le Sénégal a été confronté, il dénonce « l’insoutenable et l’innommable ». Il devine aussi qu’il doit renouer le fil de la confiance avec la jeunesse et ne pas donner d’arguments aux partisans de la radicalité.
De sa capacité à transformer l’essai dépend enfin l’avenir personnel de Macky Sall, les contours de sa vie après l’exercice du pouvoir.
Sa promesse de gouvernance transparente et démocratique n’a sans doute pas donné tous les résultats escomptés.
Mais par sa décision de ne pas se représenter, le chef de l’Etat peut espérer sortir par la grande porte. Durant son septennat puis son quinquennat, il a conforté, toujours davantage, l’image du Sénégal à l’international, en assurant une présidence rigoureuse de l’Union Africaine. Sans remettre en cause les relations historiques qui lient le Sénégal à la France, il a confirmé la position de non-alignement de son pays, notamment lorsque Dakar s’est abstenu à l’occasion du débat des Nations Unies sur l’invasion de l’Ukraine. Ami d’Emmanuel Macron, il entretient une relation fluide avec Vladimir Poutine. Cette posture pourrait conforter sa position personnelle dans l’hypothèse plausible d’une candidature au poste de secrétaire général des Nations Unies. Interrogé sur ce point, il a rappelé que la question ne se posait pas avant 2026. D’ici là, les Sénégalais se seront choisi un nouveau président. D’ici là, il aura, ou pas, réussi sa sortie !
Geneviève Goëtzinger Présidente de l’agence imaGGe
Membre du Conseil d’Administration de Synopia