Journal du confinement #13 : Après le Coronavirus, la Nation devra se souvenir !

C’est certain, nous prendrons date ! Le Président de la République, fervent adepte de l’exercice mémoriel, aura certainement le devoir de noircir nos calendriers d’une nouvelle inscription sur la grande frise de l’Histoire de France. Quand ? Le 16 mars, jour de déclaration de guerre totale au Covid-19 ? Personne à ce stade de la pandémie ne possède la réponse. Mais nous prendrons date puisque cette discussion revient à chaque mouvement d’émotion collective. Nous prendrons date car nous saisissons désormais toute la vacuité du sentiment qui nous assaille, lorsque débordant d’orgueil national nous souhaitions marquer d’un jour férié une insignifiante victoire en coupe du monde de Football. Bien sûr, l’après Coronavirus ouvrira une période nécessaire aux bilans et à la recherche de boucs émissaires. La philosophie de René Girard a révélé sa permanence ontologique dans la grande histoire de l’humanité. Il faudra comprendre comment l’ennemi a contourné notre ligne Maginot et sans doute « châtier » ceux qui ont conçu une si pitoyable défense face à un ennemi parfaitement bien décrit dans les trois derniers Livres Blancs de la défense et de la sécurité nationale. S’ouvrir sur les points de la crise qui auraient pu être mieux gérés, mais surtout sur la manière dont le pays est ressorti vainqueur de cette terrible épreuve encore en train d’éradiquer nos congénères ici et ailleurs sur le globe. Pour ouvrir notre porte à la résilience et au souvenir, il convient d’engager une réflexion sur la respectable manière de marquer d’une croix le jour de notre victoire commune contre cet événement comparable à nulle autre. La Chine s’est figée samedi 4 avril pour un moment de recueillement national de trois minutes à la mémoire des personnes décédées. Faut-il imaginer un statut pour les héros de cette guerre ? Le serment d’Hippocrate leur a fait promettre « de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé », certes, mais pas au sacrifice de leur vie.

Une date pour se souvenir de ne pas oublier. Un statut pour marquer la reconnaissance de la Nation.

Car c’est bien une guerre qui se déroule sous nos yeux. Même s’il n’y aura pas d’armistice, de reddition, de traité de paix, de glorieuses prises de guerre ni de parades des vainqueurs trainant l’ennemi vaincu derrière leur char. Cessons les puériles exégèses sur le droit d’utiliser ce terme et les métaphores qu’il octroie. Ou alors, embastillons, pour n’user que d’un seul argument, celles et ceux qui publient ouvrages et animent conférences sur la « guerre économique »1, ou la « cyberguerre »2dont ont d’ailleurs été victimes durant cette crise les systèmes d’information de nombreux hôpitaux. Comme dans toutes les guerres, nous sommes passés par tous les stades. « Petite grippette » sujette à l’arrogance, puis « on va tous mourir » prétexte à un désir de basculer dans le plus profond désespoir. Une guerre ou tout est attaqué et détruit : les industries culturelles, de l’automobile, de l’aérien, les restaurants et les commerces au plus près de chez nous. Sa proximité arase toute évocation de ce que fût une vie sociale, nous effleure et remplit nos poumons d’un air de dimanche 15 août après une attaque nucléaire. Cette guerre du front menée par nos soignants, nos élus locaux, nos policiers. Mais aussi cette guerre de l’arrière soutenue par nos caissières, nos routiers, nos professeurs, les assistantes de vie qui tels les mineurs de Tchernobyl construisent à leur manière, et elles aussi sans équipements de protection, un tunnel de soins avec les plus fragiles. Sans eux, de très nombreuses pertes s’ajouteraient à l’horreur du jugement chiffré livré chaque jour par un autre Salomon, éminent médecin celui-ci et directeur général de la Santé.

C’est bien une guerre. Une guerre parce qu’une force transcendante, qui a pour seul visage cette couronne virale meurtrière, empêche des familles, partout dans le monde, d’accompagner une dernière fois leurs proches. Par certains côtés, ce virus nous fait toucher l’émotion du deuil impossible que raconte divinement bien Pierre Lemaitre dans son ouvrage « Au revoir là-haut ». Lemaitre narrait alors les trafics de dépouilles et les fausses sépultures ; aujourd’hui, ce sont les escroqueries, misérables, aux gants et aux appareils respiratoires menées par des individus sans scrupules, des organisations criminelles voire des États sans éthique.

C’est bien une guerre. Et comme chacune, elle est incarnée par des meneurs d’Hommes. Instantanément, nous pourrions citer des noms. Certains ont soit le statut de héros autour de la table de nos dîners confinés, soit ils souffrent du dédain et des outrances sémantiques dus aux misérables Diafoirus. De Gaulle, Pétain, Clémenceau, Gamelin, ont été remplacés par Raoult, Juvin, Salomon et Cymès. Demain proclamera qui des dirigeants du nouveau monde macronien et des oppositions lepénistes et mélenchonistes seront passés à la postérité, ou auront été précipités par l’opinion publique du haut de la roche Tarpéienne. 

C’est bien une guerre. Rare conflit ! Pas même la terrible, et dernière en date, déconfiture du système financier mondial en 2008 n’aura incarné l’universalité et l’horreur élevée au rang de catastrophe humaine planétaire. De cette épreuve, les experts psychiatres alertent sur les risques de voir la population dans son ensemble souffrir d’un stress post-traumatique une fois libérée des chaînes de son confinement. Tels des combattants, nous aurons conscientisé notre propre finitude, à travers la disparition des stars mais aussi celle des anonymes. Forcés de garder les yeux ouverts aux autres conséquences morbides de ce virus, telle l’envolée des chiffres des femmes victimes de violences familiales durant cette période qui continue de s’écouler sous nos plumes. Difficile d’y échapper, les gens rembobinent le fil du temps et reviennent à l’heure du tout télévision. 35 millions de personnes ont assisté le 16 mars à l’annonce du confinement par le Président de la République. Les experts de nos refoulement freudiens préviennent des effets à venir vis-à-vis de la reprise de contact avec la multitude, la foule. Serons-nous victimes d’une vague d’agoraphobie généralisée ? Aurons-nous admis la distanciation sociale désormais comme la norme ? Verrons-nous des épidémies de masques couvrir l’ensemble des visages de ceux qui connaissent les mélodies en sous-sol d’un voyage en « Métro » ou en RER.

C’est bien une guerre, car il y a une armée et un front. L’armée est celle de nos courageux soignants. Le front est dans nos hôpitaux qui ploient sous les assauts de l’ennemi. C’est là que la bataille fait rage et décime patients et soignants. Combien de médecins, d’infirmières et d’aides-soignants vont-ils tomber sur ce champ d’horreur sanitaire ? Il est trop tôt pour le dire. Mais pour eux, une date de commémoration ne suffira pas. Pour eux, il faudra s’interroger et peut-être leur accorder le statut – récemment créé lors des vagues d’attentats – de « mort au service de la France ». Des policiers et des pompiers en ont bénéficié.

Quant à « l’armée des soignants », son courageux engagement méritera une reconnaissance particulière de la Nation. Reste à en trouver la forme, par-delà l’enjeu de la nécessaire revalorisation des rémunérations. En son temps, en 1963, le Général de Gaulle avait créé l’Ordre national du Mérite. Faut-il aller vers cette distinction républicaine, par exemple, ou en imaginer une autre ? La question devra être posée et débattue.

Alors pour mettre derrière nous les effets délétères de cette guerre, il y aura un acte de Libération. Peut-être assisterons-nous, après les applaudissements de 20 heures sincères mais distanciés, à des scènes collectives de liesse et d’embrassades nouvellement autorisées, dans les rues des grandes métropoles. Un effet déconfinement vis-à-vis des populations qui, pour la première fois de toutes nos existences et jamais depuis la fin de la seconde guerre mondiale, verra parents, aînés, enfants ressentir cette expérience traumatisante avec un sentiment gémellaire façonné d’humilité ; de culpabilité d’être encore là ou de joie d’avoir bravé la mort. Celle qui refroidit l’échine, que l’on ressent dans sa chair et qui impose le recueil et le silence. Plus réjouissant, que penser d’un effet baby-boom dès 2021, car la nature reprend toujours ses droits.

Pour toute ces raisons et sans doute d’autres, car le combat est encore devant nous. A ce jour, plus de 17 000 personnes ont perdu la vie en France. Et la honte nous envahit de ne pouvoir rien accomplir pour venir en aide à nos aînés qui s’étouffent en EHPAD. Pour toutes ces raisons, il faudra graver une date dans notre calendrier pour le recueillement, la célébration de la victoire et l’indispensable analyse des enseignements tirés de cette expérience que l’on pensait impossible encore, la veille du premier tour des élections municipales. Pour toutes ces raisons, la reconnaissance de la Nation impose un statut particulier à l’armée des soignants tombés au front.

Jacky ISABELL0
Entrepreneur
Administrateur de Synopia

Alexandre MALAFAYE
Président de Synopia

1 Histoire mondiale de la guerre économique – Ali Laïdi : Perrin
2 Cyber, la guerre permanent – Jean-louis Gergorin, Leo Isaac-dognin : Editions du CERF

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