Le 16 septembre dernier, dans une presque totale indifférence médiatique et politique, la Présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen, a prononcé son Discours sur l’État de l’Union – un discours riche en propositions, ambitieux, plein de promesses et porteur d’espoir dans un contexte de crises sanitaire, économique et sociale sans précédent.
Il y a plus de sept mois, lorsqu’un virus a provoqué brusquement la mise en pause du monde et de son flot d’échanges et d’activités, nombreux furent ceux qui, à raison, craignaient que le virus n’entraine avec lui la chute de l’Union européenne : la crise sanitaire serait-elle la crise de trop, la goutte d’eau qui ferait déborder le vase déjà plein d’un projet européen en quête de sens et d’avenir ? C’est possible. Tout est toujours possible, le meilleur comme le pire. Mais aujourd’hui, quelques jours après le discours combattif et tourné vers l’avenir de la Présidente de la Commission, et quelques semaines après la signature d’un accord historique et inédit sur la mutualisation de la dette de l’UE, il nous est permis d’entrevoir un futur possible et prometteur pour le projet européen d’union des peuples.
Quel dommage que les médias français n’aient pas davantage relayé et commenté le discours du 16 septembre ! Quel dommage également que les femmes et les hommes politiques français n’aient pas davantage apporté publiquement leur soutien aux propositions de la Commission… Quel dommage enfin que l’espace public français soit aussi imperméable à tout ce qui touche à l’Union européenne, à ses institutions, son fonctionnement, ses projets. Cette indifférence n’est pas récente. Mais aujourd’hui, elle pourrait plus que jamais, causer du tort aux initiatives européennes proposées. Car celles-ci, pour aboutir, nécessiteront un soutien des députés européens et des chefs d’État et de gouvernement. Or, ce soutien ne sera pas possible sans un minimum d’enthousiasme et d’appui de la part des citoyens qu’ils représentent.
L’enthousiasme
S’il y a bien un mot qui n’illustre plus la construction européenne, c’est celui-ci. Et pourtant, jamais n’avons-nous autant eu besoin de retrouver l’enthousiasme de faire ou plutôt de continuer l’Europe. Si, hier, les raisons d’être optimistes étaient rares, la crise sanitaire a permis d’en trouver de nouvelles.
Tout d’abord, prenant acte du caractère inédit et bouleversant de la crise sanitaire, la Commission s’est illustrée très tôt en suspendant le Pacte de Stabilité et les règles budgétaires européennes, permettant aux États membres de faire face à leurs dépenses publiques d’urgence. Le cadre européen d’intégration a ainsi montré qu’il était capable, lorsqu’il le voulait bien, de s’adapter aux nécessités du moment. Or, souplesse et agilité n’étaient pas, jusqu’alors, des attributs de la Commission européenne, bien plus souvent ferme et rigide lorsqu’il s’agissait des sacro-saints critères de stabilité budgétaire et des règles de la concurrence. Comme quoi, tout le monde peut changer, encore faut-il le vouloir et le décider.
L’enthousiasme est également de mise en ce qui concerne l’accord signé en juillet sur le plan de relance de l’Europe, financé par un emprunt souscrit au nom de l’UE, réparti à la fois sous forme de prêts à longue échéance de remboursement, et sous forme de subventions à travers les Programmes et les Fonds européens. Certes, afin de convaincre les pays du Nord, réticents par nature et par principe à une mutualisation de la dette, des compromis ont dû être faits, vidant d’une partie de sa substance solidaire le plan de relance. S’il n’est pas parfait et s’il souffre de l’opposition structurelle entre deux visions de la solidarité, celle des pays du Nord et celle des pays du Sud, le plan de relance a au moins le mérite d’exister, tandis qu’il n’aurait jamais été envisageable auparavant. Alors oui, il y a encore des progrès à faire, mais c’est un début, et un début qui va bien au-delà de sa dimension symbolique !
Enfin, le discours sur l’état de l’Union du 16 septembre dernier offre de nombreuses raisons d’être enthousiaste. Il ne s’agit pour l’instant que de déclaratif et la Présidente devra prouver sa volonté de faire par la conduite et la réussite effective de ses projets. En attendant, réjouissons-nous des chantiers que cette crise aura permis d’ouvrir :
- Une Union européenne de la Santé, avec notamment la création d’une Agence de recherche et de développement biomédicaux, et l’organisation prochaine d’un Sommet mondial de la Santé en Italie.
- La mise en place d’un cadre pour les salaires minimums dans l’ensemble des pays membres de l’UE.
- Le renforcement de l’Union économique et monétaire (UEM) et du rôle international de l’Euro, face au Yuan et au Dollar.
- Une nouvelle stratégie industrielle qui nécessitera une adaptation des règles de la concurrence (réclamée par beaucoup depuis des années), et qui devra permettre à l’Europe de relever les défis écologiques et numériques.
- La création d’un Cloud européen et d’une Identité électronique européenne pour garantir enfin la protection de nos données personnelles et celles de nos entreprises. Rattraper notre retard en matière de transformation numérique n’est plus une priorité, c’est une urgence stratégique.
- La volonté d’engager une réforme profonde des organisations du multilatéralisme, notamment l’Organisation Mondiale du Commerce et l’Organisation Mondiale de la Santé.
- L’abolition du règlement Dublin – source de nombreuses tensions entre les États membres dans le cadre de la crise migratoire depuis 2015 – qui obligeait le premier pays d’arrivée des migrants (ici notamment la Grèce, l’Italie, l’Espagne) à instruire les demandes d’asile.
Il ressort de ce grand discours une évidence : la crise sanitaire semble avoir accéléré la prise de conscience que l’UE, pour être légitime, doit protéger les Européens. Ce n’était pas sa vocation première. Désormais, cela doit devenir sa « raison d’être », et la condition de sa survie. Trois principaux niveaux d’actions se dessinent.
- D’abord, en dotant l’UE des moyens indispensables à l’anticipation des menaces et des défis, en facilitant et accélérant, lorsque nécessaire, les processus de prise de décision et leur mise en œuvre.
- Ensuite, en favorisant l’autonomisation des États européens, en réinvestissant des domaines et des secteurs qui ne constituaient pas, jusqu’alors, des priorités stratégiques (numérique, industrie, relocalisation de certaines productions, défense, etc.)
- Enfin, en assumant une place de leader mondial en tant que puissance politique garante des règles du multilatéralisme.
Avec ce discours, de nombreux tabous – ou dogmes – de l’UE avant Covid ont été bousculés. Il était temps.
Par ailleurs, lorsque la Présidente de la Commission déclare que « l’Europe doit prendre position » dans les affaires du monde (elle cite notamment Hong Kong, Moscou et Minsk), et cesse de se cacher derrière une fausse neutralité, ou encore lorsqu’elle affirme que les « États membres, Chypre et Grèce, pourront toujours compter sur une solidarité totale de l’Europe » face à la Turquie, nous entrevoyons peut-être, enfin, le réveil de l’Union européenne sur la scène mondiale.
Mais rien ne se fera sans l’engagement des pays membres de l’UE, la mobilisation de leurs dirigeants et l’envie des Peuples. Pour paraphraser, l’architecte autrichien Friedensreich Hundertwasser, si Ursula Von der Leyen rêve seule, ce n’est qu’un rêve. Mais si beaucoup d’Européens rêvent ensemble, ce sera le début d’une nouvelle réalité.
Joséphine Staron
Vice-présidente de Synopia, docteur en philosophie.