« It’s the People, stupid ! »[1]
Nous n’avons rien compris à ce qu’il se passe aux États-Unis. Nos lunettes de Français déforment la réalité américaine de façon trop souvent outrancière et les prophéties auto persuasives médiatiques des derniers mois ont confirmé que le militantisme journalistique remplace l’expertise et empêche de se forger une opinion à peu près objective de la situation. Il suffit d’écouter les commentaires depuis 24 heures pour s’en convaincre. Au même moment, Donald Trump et Kamala Harris, qui se traitaient de « fasciste » ou de « personne à faible QI », se téléphonent pour appeler à « l’unité » de leur pays. Là-bas, que cela nous plaise ou non, que ce soit « bien ou mal », la politique est d’abord un show aux moyens démesurés et autorise presque tous les excès, sauf quand il s’agit des fondamentaux.
Pragmatique, fière de son drapeau et de son hymne, l’Amérique veut conserver son statut d’hyper puissance, elle refuse de concéder le leadership planétaire à d’autres et entend rester maître de son destin. Un tel positionnement partagé par les Démocrates comme par les Républicains impose de disposer d’une économie forte, d’un système politique agile, de préférer le pragmatisme au traditionnel « bla-bla » et d’être en capacité de fabriquer des champions de classe mondiale, comme dans l’énergie, la finance, le numérique ou encore le spatial. Et à cette fin, de se servir de toutes les armes à sa disposition, le dollar, le droit, le soft power, la diplomatie et la puissance militaire. Là-bas, pas d’interminables débats idéologiques ou moraux sur l’utilité de la compétitivité ou le profit des entreprises. Il faut du cash pour les payer les factures, pas des mots.
Le pays aime l’entreprenariat et les vainqueurs. Il conserve chevillé au corps la promesse du rêve américain. Quoi que dise sa rivale vaincue, si Donald Trump avait reconnu sa défaite en 2020, il n’aurait jamais retrouvé le bureau ovale. On ne réélit pas un looser à la présidence des États-Unis. Ce pays est un pari, il a le goût du risque. Le contraire de l’UE.
Ce qui n’empêche pas les fautes graves commises par cette immense nation qui nous a libérés du joug nazi, comme la guerre en Irak ou le recul des droits sur l’IVG dans certains états qui sont passés d’un extrême à l’autre. Mais sur ce débat sensible comme sur bien d’autres, il serait judicieux de bien en poser les termes et dépasser le manichéisme de certains médias ou élites.
Et nous ne comprenons rien à ce qui est à l’œuvre sur notre « grand Continent » depuis plusieurs décennies. Rien ne sert de casser le thermomètre à chaque fois que la température d’une élection ne nous convient pas. A force de refuser de voir, comme dans le film « Don’t look up »[2], le déni finit par percuter le réel de plein fouet. Tout comme ce terrible fléau de notre temps qui consiste à mal nommer les choses ou encore à insulter tous ceux qui ne pensent et ne votent « pas comme il faut », il ne fait que grossir les rangs des méprisés. Ceux-là, bientôt, seront majoritaires. Et ce jour-là, il en sera terminé de cette funeste conception électorale du « au premier tour on choisit et au deuxième, on élimine ».
Il conviendrait donc de tirer quelques leçons des derniers suffrages américains depuis la première élection de Donald Trump en 2016. Leçons que les élus français depuis cette date se sont refusés à tirer alors qu’ils promettaient de « gouverner autrement ». Quelle erreur, car la polarisation extrême de la vie politique était elle aussi « en marche » de ce côté-ci de l’Atlantique, en France comme en Europe. En 2016, Donald Trump n’était pas un accident électoral. Son arrivée à la Maison Blanche traduisait l’aspiration criante à être pris en compte d’un nombre croissant d’Américains oubliés par l’establishment. Ils sont encore plus nombreux en 2024 et pour ceux-là, le 47° Président des États-Unis est devenu leur version suprémaciste blanche de « Martin Luther King », celui qui se bat pour eux, au péril de sa vie.
Du côté européen comme français, des tendances similaires se déploient, mais il n’y a cependant aucune fatalité mimétique, à condition de ne pas perdre de vue les réalités fondamentales, ni « les gens » et notamment ceux qui travaillent dur, se lèvent tôt, veulent de la sécurité, vivent chichement et exigent que leurs enfants aient un avenir.
La gouvernance par le haut avec des idées « hors sol » et en perdant de vue les citoyens au profit des règles et des principes, que ce soit depuis l’Élysée ou Bruxelles, est un échec patent.
Par exemple, il faudra peut-être admettre que le droit d’asile ne veut pas dire droit inconditionnel à l’installation et que la voiture électrique est très loin de faire l’unanimité. Il serait indispensable de se concentrer sur l’essentiel de ce qui est attendu par nos concitoyens : être respecté, écouté, protégé et guidé, en faisant preuve de pragmatisme. Nous en sommes loin.
Sur le plan de l’Union européenne, alors qu’il faudrait œuvrer sans relâche à bâtir un empire européen capable de devenir une puissance politique et économique et d’assurer croissance, protection et prospérité aux siens, nous laissons faire la Commission qui, faute de mieux ou de cap clair, et ignorant ce qu’est une entreprise, se concentre sur la régulation et impose ses normes, toujours plus de normes, tantôt incompréhensibles, tantôt à contresens du reste du monde, mais toujours plus complexes et coûteuses à déployer. Pour le plus grand bonheur économique des USA et de la Chine, nous avons inversé la fin et les moyens. Nous régulons bien davantage que nous ne produisons. Nous redistribuons davantage que nous créons.
Désormais, le seul horizon européen projeté est celui de la fin du monde sur fond de réchauffement climatique. La mobilisation par la peur ne peut suffire, surtout si nous oublions l’importance des mots transition, adhésion et consentement. Les résistances populaires finiront par l’emporter sur le besoin de changer, de s’adapter et les tendances électorales actuelles devraient suffire à convaincre nos gouvernants de la nécessité à s’entendre pour revoir leur méthode et la feuille de route, la fameuse « boussole européenne » que plus personne ne regarde. En commençant par cesser de sacrifier sur l’autel de « la fin du monde » des pans entiers de nos industries. Comme l’énergie nucléaire dans les années 2010 et maintenant la filière automobile et ses moteurs thermiques pour remplacer nos voitures européennes par des autos électriques (chinoises) dont personne ne veut vraiment et pour lesquelles nous n’avons jamais voté.
C’est cette façon de faire de la politique qu’une très nette majorité d’Américains vient de rejeter. Revenir aux fondamentaux signifie s’occuper des problèmes réels des citoyens, ici et maintenant. Ce qui ne veut pas dire négliger l’avenir ou l’enjeu climatique. Tout est toujours une question d’équilibre et aussi, surtout, de compréhension, d’adhésion et d’espoir.
Alors oui, il faudra faire de la politique autrement. Mais vraiment autrement, et vite ! Le temps de notre droit à être bien gouvernés est peut-être venu.
Alexandre Malafaye
Président de Synopia
[1] « Il s’agit du peuple, idiots ! » – ce titre fait référence à la célèbre réplique de Jim Carville en 1992 contre les partisans de Georges H.W. Bush.
[2] Deux astronomes s’embarquent dans une gigantesque tournée médiatique pour prévenir l’humanité qu’une comète se dirige vers la Terre et s’apprête à la détruire. Mais personne ne les écoute et la comète percute la Terre.