Journal des Futurs #156 – Transition énergétique, réindustrialisation, souveraineté : l’État doit être l’allié, pas l’obstacle !

La classe politique française devrait se garder de trop jouer aux apprentis sorciers avec l’économie, les entreprises et la fiscalité. Il serait également de notre intérêt à tous qu’elle porte un regard beaucoup plus bienveillant sur la sphère entrepreneuriale. Cette vision caricaturale présentant les entreprises françaises comme étant mues par le seul profit, telles que les décrivait Milton Fridman appartient au passé. Ce qui n’empêche bien évidemment pas les entreprises de défendre leurs intérêts – être compétitif n’est pas une option ou un critère parmi d’autres, c’est une condition de survie –, de la même façon que les salariés ou les fonctionnaires le font avec les syndicats et personne n’y trouve rien à redire.

Avoir sur notre sol des entreprises rentables et compétitives devrait être une source de satisfaction et de fierté. Qu’on se le dise : aucune entreprise ne peut investir si elle ne gagne pas d’argent ! L’exemple suivant l’illustre de belle façon.

Le 24 septembre dernier, l’appel d’offres « Centre Manche 2 » a couronné un consortium franco-allemand mené par TotalEnergies pour la construction d’un parc éolien en mer de 1,5 gigawatt au large de la Normandie, à une quarantaine de kilomètres des côtes. Derrière ce projet emblématique – le plus grand jamais lancé en France dans les énergies renouvelables – se dessine un enjeu bien plus vaste : la capacité de nos entreprises à investir massivement dans la transition énergétique sur notre sol.

Ce grand parc éolien de la Manche, qui sera construit et opéré par des capitaux privés, confirme que nos champions économiques sont des alliés précieux de la transition écologique et de la réindustrialisation, à condition de les associer pleinement dans la bataille et d’en faire des alliés à part entière plutôt que acteurs inféodés dont on se méfie par principe. En ce sens, les débats hors sol sur la « taxe Zucman » sont dangereusement irresponsables. De grâce, laissons Robin des bois au genre littéraire.

Ce parc contribue aussi directement à notre souveraineté énergétique nationale, en réduisant notre dépendance aux importations d’énergies fossiles, aux marchés internationaux volatils et à certaines aberrations du marché européen de l’énergie, notamment dans la fixation du prix de l’électricité.


Le futur parc éolien Centre Manche 2 symbolise ce que la transition énergétique peut apporter de meilleur : des énergies propres, de l’emploi et de l’industrie dans le temps long. Ce chantier hors norme mobilisera environ 4,5 milliards d’euros d’investissement et installera 1,5 GW de puissance éolienne – de quoi alimenter plus d’un million de foyers en électricité verte. Jusqu’à 2 500 emplois seront créés durant les huit années de construction, bénéficiant en priorité aux travailleurs et entreprises de Normandie. De fait, TotalEnergies s’est engagé à mobiliser un vaste réseau de PME locales, ainsi qu’à réserver une place prépondérante aux fournisseurs européens pour les éoliennes et les câbles. Ce choix de préférence européenne contribuera à renforcer la filière industrielle européenne des énergies marines, tout en assurant des retombées économiques tout au long de la chaîne d’approvisionnement.


Au-delà des chiffres, l’impact local de ce projet sera majeur. La Normandie, déjà territoire pionnier de l’éolien offshore, voit sa dynamique industrielle confortée : usines d’assemblage, chantiers portuaires, centres de formation : c’est tout l’écosystème maritime local qui sera pleinement sollicité. Centre Manche 2 agira comme un catalyseur pour structurer une véritable filière française de l’éolien en mer, compétitive et créatrice d’emplois. Quant aux Normands, ils bénéficieront à terme d’une électricité renouvelable produite localement à un coût compétitif d’environ 66 €/MWh, un tarif qui illustre les progrès réalisés pour rendre le vert accessible et concurrentiel. Le consommateur pourra s’en réjouir.


Un projet de cette envergure n’est pas qu’une prouesse technique ; c’est aussi le fruit d’un pari économique et industriel audacieux car un tel projet nécessite de déployer des moyens colossaux sur une décennie pour concrétiser cette vision – c’est d’ailleurs l’un des plus gros investissements jamais réalisés par TotalEnergies en France – et d’assumer les risques intrinsèques d’une telle opération. Ils sont immenses mais on préfère accabler les profitables. Et dans le même temps, ceux qui risquent, échouent et perdent (y compris leurs biens propres) ne font l’objet d’aucune attention ni sollicitude.

Pourtant, le volontarisme entrepreneurial, nécessaire à toute nation, ne peut s’exprimer et s’épanouir que si le contexte s’y prête. Les entreprises de notre Continent n’engageront des milliards (dans la transition énergétique, comme dans tous les autres grands projets de réindustrialisation ou le numérique) en France que si elles disposent d’un cadre politique, fiscal et réglementaire stable, clair et cohérent. C’est pourquoi il faut saluer l’engagement de TotalEnergies, car jusqu’à présent, l’expérience française et européenne fait davantage la part belle aux incohérences et à l’instabilité.

Les incertitudes sont l’ennemi de l’investissement : un changement réglementaire brutal, des objectifs qui fluctuent au gré des majorités politiques, une fiscalité évoluant au doigt mouillé ou portée par les soubresauts politico-émotionnels du moment suffisent à refroidir les ardeurs des plus motivés.


La France a appris à ses dépens que l’instabilité se paie cash : pensons, par exemple, aux premières vagues d’éolien offshore retardées par des années de recours et de lourdeurs administratives, ou aux périodes d’aller-retour dans le soutien au solaire qui ont déstabilisé la filière. Il en va de même pour le secteur de l’automobile aujourd’hui mis en grande difficulté par les décisions publiques.

Aujourd’hui, la compétition mondiale pour attirer les investissements fait rage. Les capitaux iront là où le cadre est le plus attractif : face à des pays comme les États-Unis qui déploient des incitations massives et prévisibles sur la durée, nous n’avons plus le droit de naviguer d’erreur en erreur. Si l’environnement franco-européen continue d’apparaître trop incertain ou tatillon, les porteurs de projets préféreront logiquement édifier leurs parcs solaires et éoliens sous des cieux plus cléments. Autrement dit, faute de clarté et de stabilité, les investissements se ralentissent, voire se délocalisent.

Par chance, il est des réussites dont chacun peut s’inspirer et qui prouvent qu’en France, en s’y prenant bien et en associant intelligemment l’ensemble des acteurs, tout redevient possible. Centre Manche 2 en est l’illustration : il repose sur la rencontre fructueuse entre la vision de long terme d’une entreprise et la volonté d’un État et d’une Région qui ont su fixer un cap clair, grâce à des appels d’offres cohérents et des objectifs énergétiques assumés.

Cette alchimie doit servir de modèle. Transition énergétique, réindustrialisation et souveraineté ne se concrétiseront que grâce à des partenariats forts entre l’État et les entreprises.

À l’inverse, ces belles ambitions échoueront ensemble si l’État et la classe politique persistent à jouer contre nos entreprises. Plus le débat public enverra de signaux de confiance envers ceux qui prennent des risques pour assurer le développement de notre économie, plus il y aura de volontaires au rendez-vous. Nous en avons grand besoin.

Alexandre Malafaye
Président de Synopia.

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